Les milieux d’eau douce abritent une biodiversité exceptionnelle et jouent un rôle central dans le bon équilibre des écosystèmes. Pourtant, ces habitats sont parmi les plus menacés de la planète. Selon une étude publiée en janvier 2025 dans la revue Nature, un quart des espèces d’eau douce sont en danger d’extinction. Cette situation est due à l’action combinée de nombreux facteurs, en particulier, la pollution et la transformation des habitats. Le changement climatique amplifie déjà les menaces en altérant le cycle hydrologique et en accentuant les périodes de sécheresse.
Les écosystèmes d’eau douce en péril
L’eau douce, bien qu’elle ne représente qu’une petite partie des ressources en eau de la planète, concentre une biodiversité très riche. Elle couvre moins de 1 % de la surface terrestre mais abrite environ 10 % des espèces connues. Pourtant, ces écosystèmes sont détruits à un rythme accéléré. Entre 1970 et 2015, 35 % des zones humides naturelles ont disparu, un taux trois fois plus rapide que la déforestation.
Les écosystèmes d’eau douce tropicaux, notamment l’Amazonie, l’Afrique centrale et l’Asie du Sud-Est, abritent la plus grande richesse en espèces. Les cours d’eau subissent de nombreuses pressions anthropiques : pollutions agricoles et industrielles, surexploitation des nappes phréatiques, constructions de barrages fragmentant les habitats.
De nombreuses espèces menacées sont très localisées (endémisme fort). Actuellement, la majorité se concentrent dans des zones spécifiques comme le lac Victoria, le lac Titicaca, les Ghâts occidentaux et le Sri Lanka, où la pression environnementale est particulièrement forte.
L’ampleur du déclin des espèces aquatiques
L’étude publiée dans Nature révèle que 24 % des espèces d’eau douce – poissons, crustacés, odonates – sont menacées d’extinction. Parmi elles, certaines ont déjà disparu à l’état sauvage, notamment des espèces endémiques à distribution restreinte. L’échantillon de la Liste rouge évalué pour les mollusques d’eau douce a estimé qu’un quart des espèces en danger critique d’extinction pourrait être éteint.
On sait que depuis 1500, 89 espèces ont formellement disparues, dont 82 poissons, 6 crustacés et un odonate. Ces extinctions sont assez bien documentées aux états-Unis (22 espèces) et au Mexique (15 espèces).
En 2020, 15 espèces de cyprinidés endémiques du lac Lanao ont été formellement notifiées comme disparus. L’extinction de ces espèces résulte de l’introduction de poissons prédateurs non indigènes, de la surexploitation halieutique, de méthodes de pêche destructrices comme la pêche à la dynamite, ainsi que de l’extraction excessive d’eau, de la déforestation illégale et de la pollution.


Les espèces endémiques
Certaines espèces ne se trouvent que dans des zones géographiques très limitées, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la destruction de leur habitat.

Les cichlidés du lac Victoria
Kenya, Tanzanie, Ouganda
Le lac Victoria comprend la plus forte concentration d’espèces de poissons menacés ou éteints récemment. 46 espèces de cichlidés endémiques sont dans cette situation à cause de l’introduction de la perche du Nil et de la dégradation des eaux du lac.
Les poissons du lac Titicaca et des salars
Bolivie, Pérou
Impactés par la pollution, l’introduction de la truite arc-en-ciel et la surexploitation, plusieurs espèces du genre Orestias ont disparu ou sont proches de la disparition. Avec le réchauffement climatique, le lac Titicaca pourrait être à sec dans un futur proche.


Les crustacés d’eau douce d’Asie du Sud-Est et d’Océanie
Vietnam, Laos, Thailande, Chine, Malaisie, Indonésie
De nombreuses espèces de crabes, de crevettes et d’écrevisses endémiques sont menacées par la déforestation et l’extraction minière.
Les Goodeidae d’Amérique centrale
Mexique
23 espèces de poissons de la famille des Goodeidae sont menacées au Mexique. Ces espèces endémiques des rivières et lacs du pays, sont vulnérables en raison de la fragmentation des habitats, de la pollution des eaux et de l’introduction d’espèces invasives.

Les espèces migratrices
Les espèces migratrices doivent parcourir de longues distances à travers des écosystèmes interconnectés. L’apparition de barrages et la modification des régimes hydrologiques mettent en péril leur cycle de vie.

L’anguille européenne
Anguilla anguilla
fortement affectée par la pollution et la perte de connectivité des rivières.
Le saumon atlantique
salmo salar
fortement affectée par la surexploitation, les maladies et la perte de connectivité des rivières.


L’esturgeon chinois
Psephurus gladius
éteint en raison de la construction du barrage des Trois-Gorges et de la surpêche.
Crustacés et odonates, victimes oubliées de la conservation
Si les poissons d’eau douce attirent souvent l’attention des programmes de conservation, d’autres groupes comme les crustacés décapodes et les insectes aquatiques sont également en danger.

Les écrevisses d’Europe et d’Amérique du Nord
En déclin rapide à cause des maladies introduites et de la compétition avec des espèces exotiques
Les libellules et demoiselles d’Asie et d’Afrique tropicale
Très sensibles aux perturbations des zones humides et à la pollution .

Bien entendu, certaines espèces peuvent avoir plusieurs critères défavorables (crustacé migrateur endémique par exemple).
Les causes majeures de la disparition
Les principales causes de disparition des espèces d’eau douce sont bien identifiées. Ces menaces sont souvent cumulatives, 84 % des espèces menacées subissent plusieurs pressions simultanées. L’exploitation des ressources en eau, combinée aux pollutions et aux changements d’usage des terres, représente la principale cause du déclin des espèces d’eau douce. L’impact du changement climatique pourrait être sous-estimé, en raison du manque de modèles prédictifs adaptés aux espèces d’eau douce.

1. Pollution
54% des espèces affectées
- Pollution agricole (pesticides, nutriments, sédimentation)
- Rejets domestiques et urbains (eaux usées, déchets industriels)
- Effluents industriels et militaires (métaux lourds, hydrocarbures)
2. Barrage et extraction d’eau
39% des espèces affectées
- Fragmentation des habitats par les barrages
- Modification des régimes hydrologiques et réduction des débits
- Impact sur la migration des espèces


3. Changements d’usage des terres et agriculture
37% des espèces affectées
- Déforestation pour l’agriculture intensive
- Drainage des zones humides et destruction des habitats aquatiques
- Eutrophisation due aux intrants agricoles
4. Espèces invasives et maladies
28% des espèces affectées
- Environ 500 espèces de poissons d’eau douce répandues à travers le monde principalement en raison des humains.
- Compétition et prédation par des espèces exotiques
- Introduction de pathogènes affectant les populations locales


5. Déforestation et exploitation forestière
25% des espèces affectées
- Dégradation des bassins versants
- Réduction de l’ombre et des apports en matière organique essentiels aux écosystèmes
6. Développement urbain
23% des espèces affectées
- Artificialisation des berges et destruction des milieux naturels
- Pollution des eaux de surface par les activités humaines


7. Exploitation excessive
21% des espèces affectées
- Surpêche et prélèvements intensifs
- Commerce illégal d’espèces aquatiques
8. Extraction minière
18% des espèces affectées
- Exploitation minière affectant la qualité de l’eau
- Pollution des rivières par les résidus industriels et les hydrocarbures


9. Changement climatique et événements climatiques extrêmes
18% des espèces affectées
- Modification des températures et des cycles hydrologiques
- Sécheresses et inondations affectant la biodiversité aquatique
- Impacts déjà connus sur la reproduction des amphibiens
Des menaces invisibles aux lourdes conséquences
Les espèces d’eau douce jouent un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes : elles participent à la filtration de l’eau, régulent les populations d’insectes et contribuent à la fertilité des sols en transportant des nutriments. Leur disparition affecte directement la qualité de l’eau et la biodiversité environnante. Des rivières saines sont cruciales pour l’approvisionnement en eau potable, en assurant une filtration naturelle et en limitant la propagation des polluants.
De plus, de nombreuses populations humaines dépendent de ces espèces pour leur alimentation et leur économie locale. L’appauvrissement des milieux aquatiques met en péril des communautés entrières.
Que faire pour inverser la tendance ?
Face à ces menaces, plusieurs solutions existent pour préserver les écosystèmes aquatiques :
- Réduction des polluants : contrôle des rejets agricoles et industriels.
- Restauration des habitats : protection des zones humides et rétablissement des cours d’eau.
- Législation stricte : réglementation de l’extraction d’eau et limitation des barrages.
- Sensibilisation et engagement des populations locales : éducation à la protection de l’eau et promotion de pratiques durables.
- Suivi scientifique et conservation : mise en place de réserves naturelles et suivi des populations menacées.
La crise que traversent les milieux d’eau douce est une menace majeure pour la biodiversité mondiale. Pourtant, des actions concrètes peuvent être mises en place pour ralentir cette destruction. Il est crucial de reconnaître l’importance de ces écosystèmes et d’agir pour leur préservation, avant qu’il ne soit trop tard.
La biodiversité aquatique est un patrimoine inestimable qui doit être protégé collectivement, pour les générations futures et pour l’équilibre de notre planète.
Source : One-quarter of freshwater fauna threatened with extinction
Photographies : Image mangrove / Plastique – The Ocean Agency / Images NASA / Chris Lukhaup / Jérôme Hugues / Mickael Bejean
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.